Précédente


1878

CHAMROUSSE
Le berceau du ski en France

      Si tout le Dauphiné peut prétendre à une légitime reconnaissance de la part des Français pour leur avoir donné la recette du gratin dauphinois, combien plus grande encore peut être la fierté dans cette belle province, d'une petite région située sur les derniers contreforts de la chaîne de Belledonne. C'est en effet au pied de ce massif, à Vizille, qu'est née, en 1789, la grande révolution française qui allait conquérir la France et l'Europe, et c'est au sommet du même massif, à Chamrousse, qu'une autre révolution bien plus considérable à nos yeux de skieurs, a pris son essor pour aller éveiller tous les champs de neige du monde de leur grand sommeil hivernal.

 

       Pour la première fois en France, en effet, à Chamrousse, en 1878, des skis imprimèrent dans la neige leur longue double trace.

       Henry DUHAMEL, alpiniste renommé, membre fondateur du Club Alpin Français et de la Section de l'Isère, fut le premier français à chausser des skis et cela dans les pâturages de Chamrousse au-dessus du village de Gières où il habitait. Témoignage de cet événement peut être trouvé dans divers documents, mais l'extrait ci-après d'une lettre de DUHAMEL lui-même donne toute garantie sur l'authenticité de cette " première  ".

       " Au cours d'une visite à l'Exposition Universelle de Paris de 1878, je découvris avec joie de grandes raquettes canadiennes, ainsi que de longues et étroites planchettes qu'un bienveillant exposant suédois me signala comme étant d'un emploi fort recommandable pour les parcours sur la neige. Pourvu de ce nouvel équipement qui, avec son aspect encombrant, paraissait de prime abord peu approprié aux expéditions alpestres, j'entrepris les premiers essais, dès mon retour en Dauphiné, en faisant bientôt l'ascension des 2.255 mètres d'altitude de CHAMROUSSE, au-dessus d'Uriage. Mais avec mes " planches ", nom irrévérencieux que mes collègues en alpinisme donnaient à mes skis (dont l'appellation exacte, aujourd'hui si vulgarisée, était inconnue), je dois avouer que durant d'assez longs jours, je me trouvais aussi embarrassé d'en tirer convenablement profit qu'une carpe peut le faire d'une pomme ".

(Extrait d'une lettre adressée en 1908 par DUHAMEL à Louis ARNAUD, ancien Président de la Section de l'Isère du Club Alpin. Lettre aimablement communiquée, en 1960, par M. Louis ARNAUD lui-même).

       Henry DUHAMEL était un précurseur et le tout jeune ski ne se développa que très lentement, handicapé par une maladie infantile grave : celle des fixations.

       Ce n'est que douze à quinze ans plus tard, vers 1890-1895, que le ski commença à sortir de l'enfance grâce à l'impulsion donnée à Grenoble par deux jeunes officiers suédois en stage. Les premières collectives commencèrent à s'organiser avec départ de Grenoble à pied ou à bicyclette.

       Le 28 Janvier 1896, THORANT et LORY, du Club Alpin, fondaient à Grenoble la première Société française de Ski : le Ski Club des Alpes.
       En l900, le ski pénétrait dans l'armée et une mission militaire norvégienne donnait, à Briançon, un enseignement décisif.
       En 1902, une première collective à ski du C.A.F. atteignait, 24 ans après DUHAMEL, la Croix de Chamrousse.
       En 1908, Louis ARNAUD publiait le premier manuel de ski, traduit de l'autrichien.
       Entre temps, le ski, devenu adolescent, avait désormais gagné toutes les Alpes, de Chamonix à Briançon.
       En 1911, 33 ans après sa naissance et sur le lieu même de cette dernière, le Club Alpin, fier de cet enfant robuste, édifiait à son intention le premier refuge d'altitude, le seul des Alpes ouvert pendant la saison des neiges et spécialement destiné à la pratique du ski : le Refuge du Recoin de Chamrousse.


UN GÉNIE, LE PÈRE TASSE

(Article de Gilbert COFFANO, publié dans le Dauphiné Libéré)

I ._ Jadis, tout là-haut, dans l'une des plus belles montagnes du Dauphiné, paissaient quelques centaines de moutons. Il y, a en effet, sept siècles environ, les Chartreusines du monastère de Prémol gardaient leurs troupeaux, sur ces verdoyantes prairies de Chamrousse.

       Créée en 1234 par Béatrice de Montferrat, l'épouse du Dauphin Guigues André, la Chartreuse de Prémol comptait un cheptel important de bovins et ovins, afin de subvenir au besoin de cette communauté.

      Or, l'ensemble des prairies de la station, qui appartenaient à la Famille Alleman, propriétaire du château d'Uriage, fut cédé au Couvent de Prémol par un acte de donation daté de 1260, sur lequel il est mentionné " Calmen Rupham " traduit par Chamrousse ou " Cime Rousse ".

       On retrouve aussi en Chartreuse l'étymologie d'un des plus haut sommet de ce massif, " Cime Chaude " traduit de nos jours par " Chamechaude ".

       Chamrousse
       Chemerousse
       ou Champrousse ?
(1)

       En consultant bon nombre de manuscrits ou d'anciennes cartes postales, on s'aperçoit que l'orthographe de la station n'est pas forcément la même à différentes époques. Cinq ou six variantes se retrouvent qui n'ont été au fil des ans que déformation ou transformation du nom. Mais fort heureusement le thème initial reste analogue à ces appellations originales.

       Le célèbre géodésien français, César François Cassini de Thury, cite déjà dans sa carte de France - surnommée carte de Cassini - la croix de Champrousse vers 1750.

       Le nom, en fait de Chamrousse, viendrait plutôt des magnifiques couchers de soleil que l'on peut encore observer, en toutes saisons sur les alpages Du rose orangé ou du rouge roussi, les couleurs chatoyantes se reflètent le soir sur la neige ou sur la prairie.

       Patrick(2) Goy, du restaurant " L'Écureuil ", nous confiait dernièrement : " Les anciens contaient ces merveilleux soirs d'été, quand le soleil lançait ses derniers rayons de feu sur les pistes entièrement recouvertes de rhododendrons et de myrtilles. Chaque soir, un spectacle féerique d'une vingtaine de minutes s'offrait à nos yeux. "

       C'est donc à partir de ces exaltantes observations bucoliques que l'on dénommait " Le Champ roussi " pour parler de ce secteur.
       Or, à l'époque, plusieurs dialectes verbaux se pratiquaient dans le pays. Chaque région possédant son propre patois, le dialogue d'une vallée ou d'un village à un autre était parfois laborieux.
       Mais, pour ce qui est de " notre station ", on disait couramment : je m'en vas à " Lou Champ-Rousse ".Toujours, bien sûr, avec le bon accent dauphinois.D'où le Chamrousse d'aujourd'hui dans lequel l'on a conservé le " M ", mais supprime le " P " de Champ.

Trois sites

       Situé dans la partie méridionale de la chaîne de Belledonne, la station se décompose en trois sites : Recoin, Roche-Béranger et Bachat-Bouloud.
       Des haberts de bergers, construits sur chacun de ces secteurs, accueillaient les éventuels promeneurs ainsi qu'à la Balme.
       Les témoignages d'époque précisent par exemple : " on voyait encore des cerfs dans les Alpes Dauphinoises à la fin du siècle dernier (il s'agit de 1880-1890). Je tiens de personnes bien informées qu'il a été tué des cerfs dernièrement dans la forêt de Prémol. L'ours aussi aura bientôt disparu, c'est l'animal sauvage le plus gros de nos Alpes ; il acquiert jusqu'à 2,50 m de longueur pour un poids de 2 à 300 kilos ".
Aux dires de ces faits, il ne faisait pas très bon s'aventurer dans la montagne à cette époque.
       Évoquons également les renards mais aussi et surtout, les sorties nocturnes de loups et on aura un aspect de la situation à Chamrousse dans les années 1800-1850.
       Or, malgré tous ces aléas animaliers et la rudesse du climat et du site, un homme amoureux fou de la montagne décidait de s'installer à Roche-Béranger. C'était le Père Tasse, dit l'ermite de Chamrousse.

II ._ En 1863, le père Tasse prend possession de Roche-Béranger avec sa femme et ses deux fils de 10 et 12 ans. Au tout début de l'aventure, une simple cabane abritait nos montagnards. Puis peu à peu, le chalet s'améliora et c'est en 1865 que la famille Tasse s'établit à Roche-Béranger, en créant une fromagerie, tout en recevant les quelques promeneurs. Sur un terrain de 60 m², on trouvait la cuisine, deux pièces, le four, l'écurie et une cave creusée à même le sol. Au cours du terrassement de cette cave, le père Tasse devait découvrir plusieurs reliques cléricales, vestiges ancestraux, dus au passage des " Bergères nonnes " du monastère de Prémol.
       De son ermitage isolé, le père Tasse fabriquait plus de deux cents fromages par jour et son jardin, cultivé comme un professionnel, lui dormait de magnifiques légumes.
Mais, le premier hôtel restaurant de Chamrousse n'en était qu'à son balbutiement. Peu à peu, le Père Tasse abandonna ses productions afin de se consacrer uniquement à son hébergement de montagne. " Au début on comptait sept lits, parfois les touristes dormaient avec leur parapluie ouvert, le toit du chalet ayant des fuites ". Par contre on y mangeait très bien, la cuisine étant confiée à Mme Tasse. L'accueil chaleureux des hôtes de cette " auberge " en fit rapidement son succès, grâce au bouche à oreille.

       Le Père Tasse, qui séjourna tous les étés durant vingt-deux ans à Roche-Béranger, décidait d'y passer l'hiver 1883-1884, mais les vicissitudes de cette existence hors du commun, découragèrent " le génie de Chamrousse " de poursuivre son expérience hivernale.
       C'est grâce à de tels hommes et à quelques autres, pionniers de leur temps, héroïques précurseurs du tourisme, que nos montagnes connurent un réel succès en France, et hors des frontières.
       On peut regretter, qu'aujourd'hui nous ne rendions pas hommage au père Tasse, par le biais d'une plaque, d'une rue
(3) ou d'un lieu-dit à Chamrousse, lui qui a tant fait pour cette station. Au début de notre siècle une importante statue était érigée sur un sentier montant au château d'Uriage sur laquelle ont pouvait lire : " le génie de Chamrousse ". Cette œuvre représentant le père Tasse en montagnard, due au sculpteur dauphinois Sappey, a malheureusement disparu.

       Les livres d'or

       Durant ces nombreuses années passées à Roche, le père Tasse vit beaucoup de monde en son " hôtel restaurant " de montagne. Grâce à plusieurs livres d'or, de précieux témoignages écrits, ont pu parvenir jusqu'à nous et nous confirment une fréquentation très éclectique des touristes de cette époque en ce lieu.
       M. Gustave Rivet devait écrire par exemple : " Je suis venu voir mon vieil ami le père Tasse et je m'en vais avec regret. La nature est si belle et il nous à tous si bien soignés le 26 août 1885 ". Ou encore le témoignage d'Alphonse de Bourbon, comte de Caserte, avec ses deux enfants et leurs précepteurs le 29 juillet 1884, le comte de Chambord accompagné du marquis de Monteynard, très discret à cette époque puisque étant censé être un roi en exil. On note également parmi les voyageurs, des Polonais, des Anglais, des Suisses et même plusieurs haut gradés nobles d'un régiment prussien amis de Frédéric III envoyés en France pour des missions d'espionnage le 8 septembre 1872. Plusieurs anecdotes aussi composent ces merveilleux livres, d'un temps révolu. Les unes étant brèves et précises, les autres très poétiques où l'on ressent l'âme littéraire des amoureux de la montagne.

       Champrousse ou Chamrousse comme on l'appelle de nos jours, ne possède pas un passé analogue, certes ; comme une grande métropole, mais n'est pas moins fière de compter parmi son histoire, des hommes pionniers de sa création comme Henry Duhamel, Jean Vivarat, Albert Tobey et notre ermite de Roche-Béranger le père Tasse. Ainsi que la grande aventure des jeux olympiques d'hiver, et ses retombées médiatiques, qui firent connaître Chamrousse au monde entier.


Notes du wmst
(1) On trouve également : Champrose, Champrosse,Chamerousse...
(2) Patrice Goy
(3)Erreur aujourd'hui réparée




À l'Ermitage de la Croix de Chamrousse

À 2.000 mètres
Au-dessus du niveau de la mer.
Vue et horizon splendides

T A S S E

Restaurateur à Roche-Béranger
À 2.000 au-dessus du niveau de la mer.

À 1 h. de la Croix de Champrousse,
à 3 h. ½ au-dessus d'Uriage,
route de l'ancienne Chartreuse de Prémol.

Le Chalet-auberge se trouve dans la prairie au-dessus de la forêt de Prémol,
où paissent 250 bêtes à cornes et 1.500 moutons.

Bon logis à pied et à cheval pour 20 personnes, et bonne alimentation en laitage,
légumes cultivés dans le jardin potager du chalet, volaille, viande de boucherie
et excellent vin ; café et liqueurs, jeu de boules.

EN RÉSUMÉ :

La vie d'un excellent restaurant transporté entre ciel et terre,
où l'on trouve immanquablement un dévorant appétit.

La publicité de l'hôtel-restaurant du père Tasse à la fin du XIXe siècle.
( bibliothèque de Grenoble )